Un article inhabituellement grave sur ce blog, mais difficile de faire semblant qu’il ne s’est rien passé. Comme des millions de personnes à travers le monde, j’ai été choquée, bouleversée, par l’attentat qui s’est produit hier contre Charlie Hebdo.
Même si ailleurs dans le monde les vies humaines ne sont pas si précieuses, même si ailleurs des milliers meurent dans l’indifférence générale, ici, en France, chez nous, attaquer un journal à la kalashnikov, ça reste quelque chose d’impensable.
Et pourtant, ça s’est produit, et douze personnes sont mortes. Bien sûr, les noms de ceux qui faisaient presque partie de la famille sont sur toutes les lèvres, mais il y a eu aussi 2 policiers, et six autres personnes.
Alors, comme je tombe sur cet article très intelligent du New Yorker, j’ai envie de le partager avec vous. Traduction “by myself”, mais vous avez le lien pour le lire en VO.
http://www.newyorker.com/news/news-desk/blame-for-charlie-hebdo-murders
“Les assassinats, aujourd’hui à Paris, ne sont pas le résultat de l’échec de la France à assimiler deux générations d’immigrants musulmans issus de ses anciennes colonies. Ils ne sont pas liés aux actions militaires françaises contre les états islamiques au moyen orient, ou à l’invasion de l’Iraq par les Etats Unis avant cela.
Ils ne font pas partie d’une sorte de vague générale de violence nihiliste dans un occident en pleine crise économique, socialement fragmenté et manquant de valeurs morales, une version parisienne de Newtown (attentat du 14 décembre 2012, 28 victimes dont 20 enfants) ou d’Oslo (attentats du 22 juillet 2011, 77 victimes).
Ils ne doivent surtout pas être compris comme des réactions au manque de respect à la religion de dessinateurs irresponsables .
Ils sont simplement les derniers coups portés par une idéologie qui, depuis des dizaines d’années, cherche à atteindre le pouvoir en répandant la terreur. C’est la même idéologie qui a obligé Salman Rushdie à se cacher pendant dix ans, sous la menace d’une sentence de mort, pour avoir écrit un livre. C’est la même idéologie qui a ensuite tué son traducteur japonais, et tenté de tuer son traducteur italien et son éditeur norvégien.
L’idéologie qui a assassiné 3000 personnes aux Etats Unis le 11 septembre 2001. L’idéologie qui a assassiné Theo van Gogh en 2004 à Amsterdam, pour un film. L’idéologie qui a provoqué des massacres et des viols en masse en Syrie et en Iraq. Qui a massacré 132 enfants et 13 adultes à Peshawar le mois dernier. Qui tue régulièrement tant de nigériens, surtout des jeunes, que plus personne n’y fait attention.
Parce que cette idéologie est le sous produit d’une des principales religions du globe, beaucoup de réflexions plus ou moins pertinentes essayent de déterminer ce qu’elle a, ou n’a pas, à voir avec l’islam. Certains tentent de dire que ce carnage n’a rien a voir avec la foi, ou que l’islam est une religion de paix, ou tout au moins que la violence n’est qu’une distorsion de cette grande religion. D’autres rendent responsables le contenu théologique de l’islam, comme si d’autres religions étaient structurellement plus pacifiques, ce que l’histoire a vite fait de contredire.
Une religion, ce n’est pas juste un ensemble de textes, mais les croyances vivantes et les pratiques de ses adeptes. L’islam, aujourd’hui, intègre une minorité conséquente de personnes, qui, même si elles ne l’appliquent pas elles mêmes, soutiennent un niveau de violence unique dans l’application de leurs convictions. Charlie Hebdo ne se moquait pas que des musulmans ; catholiques comme juifs étaient autant ses cibles, mais seuls les musulmans ont répondu par des menaces et des actes de terrorisme. Pour certains croyants, la violence est un outil pour atteindre le pouvoir absolu au nom de Dieu, un totalitarisme qu’on appelle l’islamisme. “Allah Akbar” ont crié les assassins dans la rue en sortant du carnage de Charlie Hebdo. Eux, tout au moins, savent ce qui les guide.
Ces pensées ne servent pas à excuser la montée rapide des assassinats islamistes tout autour du monde. Colère et désaveu ne font pas avancer, de même qu’il ne faut pas oublier les millions de musulmans qui condamnent ce qui se fait au nom de leur religion. Beaucoup d’entre eux ont immédiatement condamné l’attaque contre Charlie Hebdo, avec dans la voix la douleur de ceux dont les convictions les plus profondes ont été perverties. La réponse doit toujours être prudente, réfléchie et adaptée. En France, il est urgent d’initier un débat sur la manière dont la république peut empêcher ses jeunes citoyens musulmans de s’abandonner à une idéologie meurtrière. Mustapha Ourrad, un correcteur d’origine algérienne qui figure parmi les victimes du massacre de Charlie Hebdo pourrait-il devenir un modèle ou un héros ?
Mais l’attaque contre Charlie Hebdo est si spécifique que sa signification est très claire : les dessinateurs sont morts pour une idée. Les assassins sont les soldats d’une guerre contre la liberté de penser et d’écrire, contre la tolérance, le pluralisme et le droit à la satire. Contre tout ce que permet une société démocratique. C’est pourquoi nous devons tous être Charlie, pas juste aujourd’hui, mais tous les jours. “